dimanche 11 mai 2025

 

Le Mythe du Psoas "Muscle Poubelle" 

Dans le monde de la kinésithérapie, de l’ostéopathie et des thérapies corporelles, le muscle psoas est souvent désigné comme un "muscle poubelle", accusé de stocker les tensions émotionnelles, les traumatismes et les dysfonctionnements posturaux. Ce mythe, popularisé par certaines approches holistiques et théories pseudoscientifiques, mérite une analyse critique approfondie. Bien que le psoas joue un rôle important dans la biomécanique et puisse être impliqué dans certaines douleurs, son étiquetage en tant que réceptacle de toutes les tensions corporelles relève davantage de la simplification excessive que d’une réalité anatomique ou physiologique.

1. Origine du Mythe

L’idée que le psoas serait un "muscle émotionnel" ou un "dépotoir de stress" trouve ses racines dans des approches alternatives comme la somatothérapie, certaines branches du yoga, et des théories psycho-corporelles. Des auteurs comme Liz Koch (The Psoas Book) ont contribué à diffuser cette vision, affirmant que le psoas serait directement lié au système limbique et réagirait aux peurs archaïques (réponse de fuite ou de lutte).

Cependant, cette conception repose sur une interprétation abusive de l’anatomie et de la physiologie. Le psoas est un muscle fléchisseur de la hanche et stabilisateur lombaire, innervé par des racines nerveuses spinales (comme tout muscle squelettique), et non par des voies neurologiques émotionnelles spécifiques.

2. Analyse Anatomique et Fonctionnelle

 Rôle du psoas : réalité vs mythe

  • Fonction biomécanique : Le psoas iliopsoas est un muscle profond qui participe à la flexion de la hanche, à la stabilisation du rachis lombaire et à la posture. Sa surutilisation ou son inhibition peut effectivement causer des douleurs lombaires ou pelviennes.

  • Stockage des émotions ? : Aucune étude scientifique sérieuse ne démontre que le psoas "emmagasine" plus de stress ou de traumatismes que d’autres muscles. Les tensions musculaires sont une réponse systémique du système nerveux sympathique (via les chaînes myofasciales), et non l’apanage d’un seul muscle.

Le psoas comme bouc émissaire

Le concept de "muscle poubelle" est problématique car :

  • Il réduit des problématiques complexes (déséquilibres posturaux, stress chronique, troubles musculo-squelettiques) à un seul muscle.

  • Il détourne l’attention d’autres causes possibles (faiblesse des fessiers, dysfonction diaphragmatique, troubles articulaires sacro-iliaques).

  • Il favorise des approches thérapeutiques simplistes ("débloquer le psoas" pour résoudre tous les maux).

3. Arguments Émotionnels et Énergétiques

Certaines thérapies alternatives attribuent au psoas des propriétés quasi-mystiques:

  • Lien avec le "cerveau reptilien" : L'idée d'une connexion privilégiée entre le psoas et le système nerveux autonome (SNA), notamment via le concept de "cerveau reptilien" et son implication dans les réactions de stress, repose principalement sur la proximité anatomique du muscle avec le tronc cérébral et la moelle épinière. Cependant, l'attribution d'une influence causale directe et significative du psoas sur l'état du SNA manque de preuves expérimentales rigoureuses. Bien que des tensions musculaires chroniques puissent coexister avec des états de stress prolongé, établir une relation de causalité univoque nécessite des études contrôlées mesurant objectivement l'activité du SNA en réponse à des manipulations spécifiques du psoas, et vice-versa. Les liens fasciaux avec le diaphragme sont souvent cités comme un mécanisme d'influence sur la respiration et, par extension, sur le SNA. Si une restriction de la mobilité du psoas pouvait potentiellement altérer la mécanique respiratoire, l'ampleur et la signification clinique de cet impact sur l'équilibre du SNA restent à quantifier précisément.

  • Mémoire cellulaire et traumatismes : L'hypothèse du stockage émotionnel et traumatique dans le psoas, bien que populaire dans certaines approches somatiques, se heurte à un manque de mécanismes neurophysiologiques clairement définis. L'idée que les muscles puissent "enregistrer" des états émotionnels au-delà de la simple tension musculaire réflexe en réponse au stress psychologique n'est pas étayée par les connaissances actuelles en neurosciences. Si des tensions chroniques peuvent être associées à des vécus émotionnels passés, cela pourrait s'expliquer par des boucles de rétroaction psychophysiologiques complexes plutôt que par une "mémoire" intrinsèque du tissu musculaire. Les "libérations émotionnelles" rapportées lors de manipulations du psoas nécessitent des études rigoureuses pour distinguer les effets spécifiques des techniques corporelles des facteurs contextuels et des attentes du patient.

Cette vision relève davantage de la métaphore poétique que de la science, et peut conduire à des traitements inefficaces si elle n’est pas contextualisée.

4. Conséquences Thérapeutiques

Croire en ce mythe peut entraîner :

  • Une surintervention sur le psoas (étirements excessifs, massages intensifs) alors que la cause des douleurs peut être ailleurs (hernie discale, syndrome facettaire, déséquilibre musculaire global).

  • Une négligence d’autres approches (renforcement musculaire, travail sur la respiration, rééducation posturale).

5.  Vers une Approche Plus Nuancée

Le psoas est un muscle important, mais il n’est ni la source de tous les maux ni un dépotoir émotionnel. Une approche rationnelle et fondée sur l’évidence est nécessaire :

  • Évaluer globalement la posture, la mobilité articulaire et les chaînes musculaires.

  • Éviter les explications simplistes et les théories non vérifiées.

  • Intégrer des méthodes validées (exercices de stabilisation, gestion du stress) plutôt que des croyances pseudoscientifiques.

En somme, le mythe du psoas "muscle poubelle" est une construction culturelle et thérapeutique qui mérite d’être démystifiée pour une prise en charge plus efficace des patients.

Références:

  • Gray’s Anatomy (fondements anatomiques du psoas).

  • Journal of Bodywork and Movement Therapies (études sur les fonctions musculaires).

  • Critiques des théories somato-émotionnelles (comme The Science and Pseudoscience of Spinal Manipulation).

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