dimanche 18 mai 2025

 

L'Épée à Double Tranchant du collectif "Nofakemed" : Analyse Critique d'un Mouvement de Dénonciation en Santé

L'émergence du terme "fakemed" dans le paysage médiatique français, directement inspiré du désormais omniprésent "fake news", cristallise une tension croissante face à la prolifération des pratiques de soins non-conventionnelles et de la désinformation en santé. L'intention derrière ce néologisme est indéniablement louable : alerter le public sur des pratiques potentiellement inefficaces, voire dangereuses, et promouvoir une approche de la santé fondée sur des preuves scientifiques rigoureuses. Cependant, comme le souligne l'analyse proposée, l'adoption d'un tel vocable, lourd de connotations politiques et intrinsèquement agressif, soulève des questions cruciales quant à son efficacité réelle et aux risques potentiels qu'il engendre. Cet essai se propose d'examiner en profondeur les forces et les faiblesses du mouvement "nofakemed" tel qu'il se manifeste à travers le prisme de ce choix terminologique.

La genèse du terme "fakemed" est intrinsèquement liée à l'ascension fulgurante de "fake news" durant l'ère Trump. Cette expression, initialement destinée à dénoncer la diffusion de fausses informations délibérées, a rapidement été détournée et instrumentalisée pour discréditer toute forme de critique ou d'opinion divergente. En s'appropriant le préfixe "fake", le collectif Nofakemed court le risque d'hériter de cette charge sémantique négative. L'association, même implicite, avec un discours politique polarisant et controversé pourrait saper la crédibilité du message auprès d'une partie de la population déjà méfiante envers les institutions et les médias traditionnels, perçus comme vecteurs d'un discours dominant. Au lieu de rallier à une cause rationnelle, l'emploi d'un tel terme pourrait involontairement aliéner ceux dont on cherche précisément à éclairer les choix en matière de santé.

Le risque de polarisation constitue un écueil majeur de cette stratégie de communication. Le domaine de la santé est déjà traversé par des clivages importants, opposant souvent une vision biomédicale dominante à des approches alternatives qui rencontrent une adhésion populaire croissante. L'utilisation d'un terme aussi tranchant que "Fake Med" risque d'exacerber ces divisions, en érigeant une barrière sémantique difficilement franchissable pour un dialogue constructif. En qualifiant d'emblée certaines pratiques de "fausses médecines", on se positionne dans un jugement de valeur qui entrave l'examen nuancé des preuves scientifiques et des expériences individuelles. Au lieu de favoriser une approche rationnelle et basée sur les faits, un tel vocabulaire pourrait renforcer les préjugés des deux camps, rendant plus ardue la diffusion d'informations fiables et la promotion d'une pensée critique.

De plus, le terme "Fakemed" porte en lui une dimension disqualificatoire immédiate. Il ne se contente pas de signaler un manque de preuves scientifiques, mais il implique une intention de tromperie, une imposture. Cette approche, bien que potentiellement justifiée dans certains cas extrêmes, risque de stigmatiser un ensemble hétérogène de pratiques, dont certaines peuvent reposer sur des traditions culturelles ou des formes d'empirisme qui, sans répondre aux critères de la médecine basée sur les preuves, ne sont pas nécessairement mal intentionnées ou dépourvues de tout bénéfice subjectif pour certains individus. En adoptant un ton aussi péremptoire, le mouvement Nofakemed pourrait se fermer la porte à une compréhension plus fine des motivations et des besoins des personnes qui se tournent vers ces pratiques.

Le contexte français, avec sa propre histoire de pluralisme thérapeutique et une méfiance palpable envers certaines formes d'autorité médicale, rend l'importation brute d'un terme aussi connoté particulièrement délicate. L'essor des thérapies alternatives et la popularité de figures médiatiques promouvant des approches non conventionnelles témoignent d'une demande réelle pour des soins qui dépassent parfois les limites de la médecine conventionnelle. Dans ce contexte, l'utilisation d'un terme aussi polarisant que "Fakemed" pourrait non seulement alimenter les suspicions de ceux qui se sentent déjà marginalisés par le système de santé dominant, mais également renforcer leur adhésion à des pratiques qu'ils perçoivent comme une réponse à leurs besoins non satisfaits.

Face à ces risques significatifs, la pertinence d'une réévaluation stratégique de la communication du mouvement "Nofakemed" apparaît cruciale. Comme le suggère l'analyse, l'adoption d'un vocabulaire plus neutre et factuel serait susceptible de favoriser un dialogue plus constructif et d'atteindre un public plus large. Des expressions telles que "pratiques non éprouvées scientifiquement", "médecines alternatives non validées", ou "désinformation en santé" seraient plus précises et moins susceptibles de susciter des réactions défensives. L'accent devrait être mis sur la communication des preuves scientifiques disponibles, l'explication des mécanismes biologiques sous-jacents, et la mise en lumière des risques potentiels associés à certaines pratiques, plutôt que sur une disqualification a priori et émotionnelle.

En conclusion, si l'intention du mouvement Nofakemed de lutter contre la désinformation en santé et de promouvoir une médecine fondée sur les preuves est essentielle et légitime, le choix du terme "Fake Med" s'avère être une épée à double tranchant. Son association avec un discours politique polarisant, le risque d'exacerber les divisions et la perception négative du terme "Fake" pourraient nuire à la crédibilité du message et entraver la diffusion d'informations fiables. Une approche plus nuancée, privilégiant un vocabulaire factuel et une démarche pédagogique axée sur la vulgarisation scientifique, apparaît comme une voie plus prometteuse pour atteindre les objectifs louables de ce mouvement et favoriser une prise de décision éclairée en matière de santé pour l'ensemble de la population. L'efficacité de la lutte contre la désinformation ne réside pas dans la virulence du propos, mais dans la clarté, la rigueur et la pédagogie du message.

mercredi 14 mai 2025

 

Evaluation of the effectiveness of osteopathic treatment on the mother-newborn dyad in the event of painful breastfeeding in a maternity hospital despite the application of all usual aids: randomized interventional trial in two parallel arms without blinding

 

Critical Analysis of the Study on the Effectiveness of Osteopathic Treatment on the Mother-Newborn Dyad in Cases of Painful Breastfeeding

The study conducted by Elleau et al. aimed to evaluate the effectiveness of osteopathic manipulative treatment (OMT) as a complement to usual breastfeeding aids in reducing pain and improving breastfeeding rates in mother-newborn dyads suffering from significant pain. While the results report a significant improvement in breastfeeding rates in the treated group, several major methodological weaknesses compromise the robustness of these conclusions and considerably limit their scientific scope.

The extremely small sample size (n=23) constitutes the most critical flaw of this study. With only 13 dyads in the treated group and 10 in the control group, the statistical power to detect a real effect, even if it exists, is inherently low. The observed differences could easily be the result of chance or individual variations within the small groups rather than a true causal effect of OMT. This limitation makes any generalization of the results to a larger population highly speculative.

The lack of blinding introduces considerable bias. Knowledge of treatment allocation by both participants and researchers could subjectively influence pain perception, motivation to continue breastfeeding, and the way data were collected and interpreted. Performance bias is particularly concerning, as healthcare professionals might unconsciously offer differential support to the groups. Similarly, reporting bias is inevitable when participants know they have received a specific intervention, potentially leading them to report more significant improvements.

The recruitment difficulties and premature termination of the study raise important questions about the representativeness of the sample. The reasons for the low recruitment, notably the refusal of randomization and opposition to osteopathy, suggest a possible selection bias. The dyads who consented to participate may differ significantly from those who did not in terms of motivation, beliefs, and other factors likely to influence breastfeeding outcomes. The premature termination deprives the study of the opportunity to reach the initially planned sample size, exacerbating the problem of low statistical power.

The contamination of the control group by the three mothers who sought osteopathic care after discharge further complicates the interpretation of the results. Although these participants were not included in the treated group, their use of osteopathy could have influenced the breastfeeding rates observed in the control group, potentially underestimating the effect of OMT. The justification for not including them in the treated group, while statistically conventional, does not fully account for the reality of practice and the intention to treat.

The subjectivity of certain outcome measures, particularly pain intensity and responses to qualitative questions, is problematic in the absence of blinding. These measures are inherently sensitive to participant expectations and biases. The positive responses regarding the improvement of the mother-infant relationship and well-being, while interesting, are particularly vulnerable to confirmation bias when participants know they have received a treatment aimed at improving these aspects.

Although the study provides a detailed description of the osteopathic technique used, the lack of rigorous standardization between the two treating osteopaths could introduce uncontrolled variability in the intervention. Without a strict and verifiable treatment protocol, it is difficult to ensure that all dyads in the treated group received an equivalent intervention.

Finally, the general nature of the description of "usual breastfeeding aids" in the control group raises questions about the homogeneity of the reference treatment. Variations in the intensity and quality of this support could have influenced breastfeeding rates in the control group, making the comparison with the treated group less precise.

In conclusion, despite the reported positive results, this study suffers from significant methodological limitations, including an insufficient sample size, lack of blinding, recruitment problems, and possible contamination of the control group. These weaknesses seriously compromise the internal and external validity of the study, making it impossible to conclude with certainty about the effectiveness of osteopathic treatment in this context. The results should be considered preliminary and require confirmation by larger, rigorously designed, and blinded future studies to minimize bias. The interpretation of the current findings must remain cautious and cannot justify a widespread adoption of OMT as a routine intervention for painful breastfeeding without stronger evidence.

dimanche 11 mai 2025

 

Le Mythe du Psoas "Muscle Poubelle" 

Dans le monde de la kinésithérapie, de l’ostéopathie et des thérapies corporelles, le muscle psoas est souvent désigné comme un "muscle poubelle", accusé de stocker les tensions émotionnelles, les traumatismes et les dysfonctionnements posturaux. Ce mythe, popularisé par certaines approches holistiques et théories pseudoscientifiques, mérite une analyse critique approfondie. Bien que le psoas joue un rôle important dans la biomécanique et puisse être impliqué dans certaines douleurs, son étiquetage en tant que réceptacle de toutes les tensions corporelles relève davantage de la simplification excessive que d’une réalité anatomique ou physiologique.

1. Origine du Mythe

L’idée que le psoas serait un "muscle émotionnel" ou un "dépotoir de stress" trouve ses racines dans des approches alternatives comme la somatothérapie, certaines branches du yoga, et des théories psycho-corporelles. Des auteurs comme Liz Koch (The Psoas Book) ont contribué à diffuser cette vision, affirmant que le psoas serait directement lié au système limbique et réagirait aux peurs archaïques (réponse de fuite ou de lutte).

Cependant, cette conception repose sur une interprétation abusive de l’anatomie et de la physiologie. Le psoas est un muscle fléchisseur de la hanche et stabilisateur lombaire, innervé par des racines nerveuses spinales (comme tout muscle squelettique), et non par des voies neurologiques émotionnelles spécifiques.

2. Analyse Anatomique et Fonctionnelle

 Rôle du psoas : réalité vs mythe

  • Fonction biomécanique : Le psoas iliopsoas est un muscle profond qui participe à la flexion de la hanche, à la stabilisation du rachis lombaire et à la posture. Sa surutilisation ou son inhibition peut effectivement causer des douleurs lombaires ou pelviennes.

  • Stockage des émotions ? : Aucune étude scientifique sérieuse ne démontre que le psoas "emmagasine" plus de stress ou de traumatismes que d’autres muscles. Les tensions musculaires sont une réponse systémique du système nerveux sympathique (via les chaînes myofasciales), et non l’apanage d’un seul muscle.

Le psoas comme bouc émissaire

Le concept de "muscle poubelle" est problématique car :

  • Il réduit des problématiques complexes (déséquilibres posturaux, stress chronique, troubles musculo-squelettiques) à un seul muscle.

  • Il détourne l’attention d’autres causes possibles (faiblesse des fessiers, dysfonction diaphragmatique, troubles articulaires sacro-iliaques).

  • Il favorise des approches thérapeutiques simplistes ("débloquer le psoas" pour résoudre tous les maux).

3. Arguments Émotionnels et Énergétiques

Certaines thérapies alternatives attribuent au psoas des propriétés quasi-mystiques:

  • Lien avec le "cerveau reptilien" : L'idée d'une connexion privilégiée entre le psoas et le système nerveux autonome (SNA), notamment via le concept de "cerveau reptilien" et son implication dans les réactions de stress, repose principalement sur la proximité anatomique du muscle avec le tronc cérébral et la moelle épinière. Cependant, l'attribution d'une influence causale directe et significative du psoas sur l'état du SNA manque de preuves expérimentales rigoureuses. Bien que des tensions musculaires chroniques puissent coexister avec des états de stress prolongé, établir une relation de causalité univoque nécessite des études contrôlées mesurant objectivement l'activité du SNA en réponse à des manipulations spécifiques du psoas, et vice-versa. Les liens fasciaux avec le diaphragme sont souvent cités comme un mécanisme d'influence sur la respiration et, par extension, sur le SNA. Si une restriction de la mobilité du psoas pouvait potentiellement altérer la mécanique respiratoire, l'ampleur et la signification clinique de cet impact sur l'équilibre du SNA restent à quantifier précisément.

  • Mémoire cellulaire et traumatismes : L'hypothèse du stockage émotionnel et traumatique dans le psoas, bien que populaire dans certaines approches somatiques, se heurte à un manque de mécanismes neurophysiologiques clairement définis. L'idée que les muscles puissent "enregistrer" des états émotionnels au-delà de la simple tension musculaire réflexe en réponse au stress psychologique n'est pas étayée par les connaissances actuelles en neurosciences. Si des tensions chroniques peuvent être associées à des vécus émotionnels passés, cela pourrait s'expliquer par des boucles de rétroaction psychophysiologiques complexes plutôt que par une "mémoire" intrinsèque du tissu musculaire. Les "libérations émotionnelles" rapportées lors de manipulations du psoas nécessitent des études rigoureuses pour distinguer les effets spécifiques des techniques corporelles des facteurs contextuels et des attentes du patient.

Cette vision relève davantage de la métaphore poétique que de la science, et peut conduire à des traitements inefficaces si elle n’est pas contextualisée.

4. Conséquences Thérapeutiques

Croire en ce mythe peut entraîner :

  • Une surintervention sur le psoas (étirements excessifs, massages intensifs) alors que la cause des douleurs peut être ailleurs (hernie discale, syndrome facettaire, déséquilibre musculaire global).

  • Une négligence d’autres approches (renforcement musculaire, travail sur la respiration, rééducation posturale).

5.  Vers une Approche Plus Nuancée

Le psoas est un muscle important, mais il n’est ni la source de tous les maux ni un dépotoir émotionnel. Une approche rationnelle et fondée sur l’évidence est nécessaire :

  • Évaluer globalement la posture, la mobilité articulaire et les chaînes musculaires.

  • Éviter les explications simplistes et les théories non vérifiées.

  • Intégrer des méthodes validées (exercices de stabilisation, gestion du stress) plutôt que des croyances pseudoscientifiques.

En somme, le mythe du psoas "muscle poubelle" est une construction culturelle et thérapeutique qui mérite d’être démystifiée pour une prise en charge plus efficace des patients.

Références:

  • Gray’s Anatomy (fondements anatomiques du psoas).

  • Journal of Bodywork and Movement Therapies (études sur les fonctions musculaires).

  • Critiques des théories somato-émotionnelles (comme The Science and Pseudoscience of Spinal Manipulation).